Le génie de la tirelire

Marie Nollet

Marie Nollet

1. Objectif : pas de Poitou

C'est l'horreur ! Tatie Cathy a décidé de pourrir mes futures vacances d'été. Mais pas question que je me laisse faire ! J'ai trouvé le plan parfait pour lui échapper. Pour le mettre en route, j'ai d'abord besoin d'un peu d'argent. Je vais chercher ma belle tirelire cochonnet. Je dévisse son bidon rebondi et... et... rien. Rien ? Comment ça, rien ? Non, il y a bien quelque chose à la place de mon argent : un petit mot. « Je te rendrai ta fortune quand tu auras décidé de t'en servir moins bêtement. Réfléchis bien à la façon dont tu comptes l'utiliser. Écris-la sur un papier que tu glisseras dans ta tirelire. Si tu arrives à me convaincre, tu retrouveras tes pièces et billets sains et saufs. »
C'est quoi cette mauvaise blague ?
Ce que je voulais faire de mon argent n'était pas bête du tout ! J'allais acheter l'élément essentiel à mon plan machiavélique : un désherbant surpuissant.
Explication : Tatie Cathy va partir en vacances dans le Poitou. Et comme elle a la phobie des trains, des gares, des avions, des aéroports, des bus, des arrêts de bus, des vélos et sûrement aussi des garages à vélos, elle souhaite que quelqu'un l'accompagne dans son voyage. Merci ma mauvaise étoile : je suis l'élu ! Moi, je n'y tiens pas, à aller dans le Poitou. Sur le moment, je n'ai rien dit, je ne voulais pas la vexer. Mais à force de ruminer ces futures vacances forcées, il m'est venu une idée de génie... Tatie Cathy a la passion du jardinage. Elle a déjà demandé à son voisin de s'occuper de ses plantes en son absence, avec une tonne de recommandations. S'il arrivait malheur à ses plantes chéries avant le grand départ vers le Poitou, je suis certain que Tatie Cathy préférerait les soigner plutôt que de partir en vacances. D'où l'achat nécessaire d'un super-désherbant.
J'en ai repéré un gros bidon de six litres au supermarché. Bref, vous avez compris pourquoi j'ai tant besoin de mon argent de poche.
Mais pour l'instant, me voilà investi d'une nouvelle mission : qui a pris mon argent ? Côté suspects, j'ai l'embarras du choix : mes frères et sœur.
Le coupable serait-il mon grand frère le blagueur ?
Ou ma sœur si parfaite et donneuse de leçons ?
Ou mon petit frère qui a déjà le don de faire disparaître les bonbons du buffet ?
À moins que... Papa ?!
La seule personne au-dessus de tout soupçon est Maman : elle est gendarme. 

2. Négociations

En prenant en considération la liste des principaux suspects, j'ai trouvé la proposition la plus susceptible de plaire au kidnappeur : « Si tu me rends mon argent, je couvrirai de cadeaux mes frères et ma sœur ! » J'écris ça sur un bout de papier et je le mets dans la tirelire.
Après le dîner, je vérifie le contenu de mon cochonnet. Il y a un nouveau mot. C'est une réponse à ma proposition : « Sois sincère, Lucas ! Car petite précision : tu devras réellement utiliser ton argent de la façon annoncée. »
Grrr !
J'écris immédiatement un nouveau message : « Je le mettrai de côté pour plus tard. »
Un choix raisonnable ! J'ai hâte de voir ce que le kidnappeur aura à répondre à ça.
Le verdict tombe après ma douche : « Alors autant que je le garde. »
Message numéro trois : « J'achèterai des livres. »
« Et tu les liras ? En gage de bonne foi, lis la pile qui t'attend depuis Noël. »
Message numéro quatre : « Je le mangerai ! »
« Bon appétit ! »
Mouais, on me souhaite bon appétit, mais on ne me donne pas l'ombre d'un billet à grignoter !
Le voleur est habile : j'ai essayé plusieurs fois de le surprendre, sans succès. Je me suis même caché tout un dimanche après-midi dans ma penderie pour voir de qui il s'agissait. Mais j'ai dû m'assoupir un moment, car je n'ai vu personne, et une nouvelle réponse m'attendait quand même après ma planque dans le placard !
Enfin, je mets un dernier message dans la tirelire : « Garde-le, cet argent, je laisse tomber ! »

3. À cœur ouvert

Ça fait une semaine que j'ai dit adieu à mon argent. Ne plus avoir les fonds nécessaires pour financer mes plans machiavéliques est dommage, mais je n'ai pas tant de regrets que ça, finalement.
Ce soir, en revenant de l'école, je vois dans la vitrine du fleuriste une plante dont le nom me dit quelque chose. Mais oui ! C'est celle que rêve d'acquérir Tatie Cathy ! Si j'avais de l'argent, je la lui offrirais. Je lui rendrais visite pour la lui donner, et peut-être que j'en profiterais pour lui livrer mes sentiments au sujet de cette expédition dans le Poitou... Après tout, je n'ai plus vraiment d'autre carte à jouer.
De retour à la maison, une surprise m'attend : une pile de pièces et de billets est adossée à ma pile de livres !
Mon argent est-il réapparu parce que j'ai eu envie d'acheter une plante plutôt que du désherbant ?
Il faut en avoir le cœur net. Alors que ma famille est réunie dans le salon, je demande :
— Comment vous avez deviné que je voulais acheter une plante ?
Tous me regardent avec étonnement. Pour ceux qui ne seraient pas en cause et ignoreraient ce qui se passe dans ma tirelire depuis quelque temps, je fais un résumé des événements précédents.
— Vous pouvez me le dire maintenant. Qui avait pris mon argent ?
Mais ils se déclarent tous sincèrement innocents.
Je retourne tout bête dans ma chambre. Serais-je devenu fou ? Pourtant, mon argent avait vraiment disparu, et je n'ai pas rêvé non plus les petits mots qui se trouvaient à la place dans ma tirelire !
J'ouvre le tiroir de mon bureau : les billets du kidnappeur sont bien là. En les observant, je ne reconnais pas cette écriture : ce n'est ni l'écriture soignée de ma sœur, ni les pattes de mouche de mon grand frère, ni les grands bâtons de mon petit frère, et encore moins l'écriture complètement illisible de Papa.
Bon, j'y réfléchirai plus tard. Là tout de suite, j'ai plus important à faire.
Je retourne à la boutique de plantes avant que quelqu'un d'autre n'achète celle qui m'intéresse, puis je vais chez ma grand-tante. Elle m'ouvre sa porte en souriant. Elle est ravie du cadeau et m'offre un goûter.
Tatie Cathy est gentille... Je préférerais qu'elle n'ait pas la phobie de tous les moyens de transport existants, mais on s'aime. Je suis content de ne pas avoir acheté du désherbant.
Tatie farfouille dans ses papiers.
— Lucas, pour notre voyage dans le Poitou...
— Justement, je voulais te dire que... hum... je ne suis pas sûr que ça va me plaire... J'ai peur de m'ennuyer.
— J'y ai pensé. D'abord, je veux que tu saches que tu n'es pas forcé de venir. Et puis, j'ai fait des recherches.
Tatie étale devant moi des brochures de centres équestres, de bases de loisirs, de beaux coins à visiter et d'un super parc d'attractions.
—  Regarde tout ce qu'on pourra faire quand on sera là-bas ! Je souhaite qu'on se crée de merveilleux souvenirs, tous les deux, m'annonce Tatie Cathy.
Comme c'est gentil ! Je pensais que Tatie ne voulait de moi que pour remplir le siège près du sien dans le train et l'avion, mais en fait, nous allons partager de vrais et beaux moments ensemble. Depuis le début, il suffisait de discuter avec elle pour être rassuré, avec une plante dans les bras plutôt qu'un désherbant dans le dos.
Après Tatie, il y a quelqu'un d'autre que je dois remercier. Car maintenant, je crois qu'il existe une sorte de génie dans la tirelire qui a plus de bon sens que moi. Alors, je glisse un tout dernier mot dedans : « merci ! »
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Image de Le génie de la tirelire
Illustration : Gabrielle Sibieude

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